Taos Pueblo, Nouveau-Mexique, août 2009
Taos Pueblo est vanté dans tous les guides touristiques comme l’un des villages indiens les plus authentiques des Etats-Unis. Il est vrai que l’architecture des maisons, construites en adobe (un mélange d’argile et de paille) et étagées sur quatre ou cinq niveaux accessibles par des échelles, mérite qu’on s’y attarde. Pourtant j’ai ressenti un profond malaise en me promenant dans ses ruelles. En cause : l’exploitation commerciale du village par les Indiens eux-mêmes, qui ne colle pas vraiment avec leurs convictions. Payer pour rentrer dans la cité passe encore. Mais lorsqu’on s’aperçoit que la seule partie du pueblo accessible aux visiteurs est truffée de magasins d’artisanat et de souvenirs, des esquilles amères éraflent le rêve. Surtout si les vêtements aux couleurs locales sont étiquetés made in China (comme ce petit blouson de perles toc proposé à… 690 dollars).
Il y a aussi le problème de l’image. A Taos Pueblo, le touriste doit s’acquitter de cinq dollars supplémentaires par appareil photo, dix par caméra. Lorsqu’on pointe l’objectif dans le village, il faut veiller à ne pas viser les habitants. J’ai eu le malheur de prendre en photo une maison avec des enfants qui jouaient sur le perron, la porte entr’ouverte. La maîtresse des lieux m’a couru après et s’est saisie de mon appareil pour exiger la destruction du cliché. Quelques jours plus tard, dans la région de Gallup, j’ai été confronté à une altercation similaire. Une photo d’une maison et son décor m’a valu le courroux d’une Indienne. Craignait-elle que je lui vole l’âme de sa maison? Pourquoi alors, à trois kilomètres de là, le village indien d’Acoma s’ouvrait-il impudemment aux touristes, moyennant le versement, comme à Taos, d’une taxe photo?
Et je ne parle pas de ce vieil Indien en 4×4 venu me demander « si tout allait bien », alors que je venais de viser, sur un plan large, un enfant sur son vélo au milieu de la campagne. Ces incidents ont bridé mon élan pour la photo là-bas. Mes rares clichés de village et de gens ont été pris à la sauvette, depuis la voiture. Les Indiens ont peut-être à s’accorder sur ce problème de l’image, et plus généralement sur l’accueil qu’ils réservent aux touristes. Car pour l’heure, ils ne semblent nous accepter qu’à condition d’ouvrir le porte-monnaie, sans autre contrepartie que leur amertume et leur renfrognement. N’ont-ils pas de scrupule à monnayer la tragédie de leur Histoire? A Taos Pueblo, une boutique vend aux touristes un poster à l’effigie de Christophe Colomb, présenté comme un voyageur « voleur et sanguinaire, responsable des pires malheurs jamais commis sur un peuple »…