Le besoin de se souvenir semble surgir à l’improviste. Le présent nous presse soudain de tester la gravité du passé. Et voilà que ce passé glisse entre ses pages quelques feuillets d’ombre qu’aucun effort n’élucidera tout à fait. Pourtant, à prendre le temps de fouiller entre ses racines, on enrichit le terreau d’un nouvel oxygène. Gratter les bulbes d’hier ne nous guérit pas des béances de demain mais donne au présent un air moins suffocant. Nous ne saurons jamais tout à fait qui nous sommes, mais au moins apprend-on à vivre avec cette part d’ignorance, dans la lumière bleutée de ceux qui nous ont porté l’amour.
J’ai retrouvé l’écrivain Frédéric Brun ce matin dans un café à Grenoble, en face du lycée Champollion. Nous avons parlé de cette mémoire à restaurer pour mieux la transmettre, mémoire à raccorder comme un précieux guide-chant. Nous avons détramé son nouveau livre, Une Prière pour Nacha, dernière quête d’une émouvante trilogie consacrée aux figures tutélaires de l’auteur. Après Perla (sur sa mère), le Roman de Jean (son père), Une Prière pour Nacha esquisse le portrait de sa tante, rescapée d’Auschwitz, que la maladie d’Alzheimer confine au silence. En rassemblant les pièces de la mémoire de Nacha, Frédéric Brun se découvre des origines juives qu’on lui a toujours tues. Le miroir que le passé lui tend n’a plus tout à fait le même reflet, mais les rides au coin des yeux s’accrochent à une nouvelle envie d’être et d’offrir. Au-delà des secrets, au-delà du mystère de Dieu.