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pêcheur de rêves

pêcheur de rêves

pecheur

Tanjun Kuput (Tasik Chini), Malaisie, été 2005

Enfant, j’ai passé des étés entiers immobile sous le soleil brûlant, assis entre les bateaux des ports. Mes rêves tenaient à un fil, noué au bout d’un roseau que j’agitais des heures durant comme une baguette magique au-dessus de la mer. Un bouchon de liège, trois hameçons de rechange, quelques poignées d’escargots blancs en guise d’appât et je m’en allais pêcher toute la journée, le regard happé par le petit clapot. Rêves d’argent et d’arc-en-ciel, tous ces poissons scintillaient comme un trésor dans mes seaux en plastique, quand d’autres gamins du même âge les remplissaient de sable gris. En ce temps-là, la mer était généreuse. Sars, serrans, oblades, girelles, gobies, blennies, crénilabres ! J’aimais faire sonner la poésie de ces noms compliqués à chaque prise. Il y avait aussi la joie immense d’échapper à l’ennui et au brouhaha de la plage. Mes parents m’abandonnaient là entre deux barques amarrées, ils me retrouveraient le soir à la même place. La peau tannée, le regard pétri de joies ruisselantes comme les couleurs de mes seaux, les doigts empuantis par les escargots et les poissons macérés au soleil. L’odeur, cette sainte odeur, effrayait ma mère à chaque fois. Le parfum incrusté sous mes ongles longtemps après la douche me rassurait au contraire. Il était la trace, douce et complice, d’un sentiment que je n’avais même pas à nommer pour m’en délecter. Le sentiment du soleil et du rêve, une espèce rare d’infinie liberté.

(janvier 2006)