Tazlau, Moldavie roumaine, juillet 2010
« Nous sommes dans la merde« . Le taxi qui nous a conduits à l’hôtel la première nuit est amer. Il parle de son pays comme d’un « grand gâchis« . Selon lui, la Roumanie a un gros potentiel économique qui est « très mal exploité« . Quelques jours plus tard, une enseignante complètera ces propos : « Notre tissu industriel est en lambeaux, l’agriculture est en friche et le tourisme est en baisse depuis trois ans« . Vingt ans après l’instauration du régime démocratique, l’heure est au doute. Après la chute de Ceaucescu en 1990, le peuple, prudent à l’égard des sirènes libérales, avait préféré la voie d’un communisme modéré. Il a fini par porter une équipe de centre-droit au pouvoir en 2004, mais après quelques années de décollage, notamment grâce aux délocalisations des entreprises occidentales, le pays souffre. La modernisation de la société est perceptible dans la capitale et les villes touristiques, mais ailleurs, rien n’a vraiment changé. Le chômage des jeunes culmine et les inégalités sociales sont criantes. Sur l’autoroute Bucarest – Cernavoda, on se fait doubler par des grosses cylindrées aux vitres fumées, mais c’est la Dacia Berlina des années 70 (la R12 rebadgée) qui occupe les routes régionales et secondaires.
La crise économique mondiale a fragilisé la Roumanie a tel point que le gouvernement a dû se résoudre à des mesures drastiques pour éviter la faillite à la grecque : passage de la TVA de 19 à 25 % et, chose impensable en France, réduction d’un quart du traitement des fonctionnaires notamment. Aujourd’hui, un professeur de langue vivante avec 25 ans d’ancienneté gagne 250 euros par mois. Le salaire des ouvriers de la fonderie et des mineurs dépasse à peine les 150 euros. La fragilité économique et sociale est telle que certains m’ont fait part de leur nostalgie communiste : « On ne pouvait pas avoir deux voitures, on ne pouvait pas sortir du pays, mais tout le monde avait un travail et la cellule familiale était préservée. » Aujourd’hui, les plus motivés tentent l’aventure professionnelle hors du pays. Ils s’expatrient en Allemagne, en Italie ou en France pour ramener une partie de leur salaire à leur famille. Mais au bout de trois ans, ils s’épuisent et retrouvent la précarité.
L’espoir viendra peut-être du tourisme, parce que la Roumanie est un pays attachant et souvent magnifique. Mais sans une politique volontariste de valorisation des ressources naturelles et une professionnalisation des hébergements, elle ne pourra attirer durablement les voyageurs. Une professionnalisation qui ne doit pas rimer avec uniformisation. Ces dernières années, les pensions ont fleuri, dans certaines vallées des Carpates et dans le Maramures, avec pour conséquence un accueil complètement anonyme et froid. Le béton s’est aussi emparé de toute la moitié sud de la côte de la Mer Noire et le syndrome « Costa Brava » gagne maintenant vers le nord, menaçant des sites d’une grande beauté, jusqu’aux portes mêmes du Delta du Danube. Heureusement, des initiatives sont menées pour préserver l’authenticité de la Roumanie. Le développement de réseaux d’hébergement chez l’habitant, notamment en Moldavie et dans le Maramures, offre aux fermiers des ressources supplémentaires tout en permettant au touriste de s’immiscer dans la vie locale. C’est exactement ce que nous avons essayé de faire, et c’est ici que le voyage a été le plus intense.