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les disques de ma vie : Les Who, les Kinks, les Stones et les Trashmen

les disques de ma vie : Les Who, les Kinks, les Stones et les Trashmen


Ces vinyls, et des tas d’autres de cette époque, ils ne m’appartiennent pas. Ils sont et resteront à mon tout jeune père, avec ses histoires à lui gravées dans les sillons. Mais la magie de la musique, c’est que chacun peut y coller son truc. Et même dans celle qu’on ne choisit pas complètement, dans ces décibels d’emprunt, on trouve de quoi ronger. Et là, pour moi, ce n’était pas le frein, mais plutôt un os, bien garni de moelle. Ces quatre quarante-cinq tours forment tout bonnement la pierre angulaire de mon apprentissage wock’n’woll. Oui, bon, le rock ne s’apprend pas. Il s’inocule. Il s’impose, soit. On se révèle à lui aussi. Avec My Generation, une dizaine d’années après sa sortie, je me suis révélé casseur, turbulent, insaisissable et teigneux. Les Who, qui le croirait aujourd’hui hein, ont pissé la parfaite BO de mes colères enfantines. Le plateau de fromage qui passe par la fenêtre au milieu du repas de famille. Le cousin enfermé dans le placard à balais avec la clé dans le vide-ordures. Ma propension à balancer des claques aux filles que je trouvais moches. This is my generation, baby. Je me souviens qu’une malencontreuse tache de colle sur les sillons de la chanson faisait scratcher un peu plus la voix bégayante de Roger Daltrey. L’accident merveilleux, qui donne au morceau un supplément de bordel. Pardon, de confusion sonore.

Sur le petit Teppaz blanc de la famille, avec le haut-parleur intégré dans le couvercle, j’enchaîne Johnny avec tous ces fous. Je me berce à la nonchalance de Ray Davies. Les Kinks, c’est classe et précieux, un peu distant et distingué. J’adorais leur coupe de cheveux, leurs chemises à jabot. J’avais même cru que c’était eux qui jouaient les Anglais dans le film de Lautner Ne Nous Fâchons Pas. L’enfance a ses histoires bien à elle. Je me laisse surtout happer par les maléfices qui s’échappent de la Gibson Les Paul de Keith Richards. Hé, il porte mon prénom en bandoulière, je suis presque un guitar hero déjà – je ne le serai jamais, gros gros dépit. Un soir, mon père me raconte le sombre destin de Brian Jones. Le lendemain, je crucifie le blondinet au stylo Bic rouge, avec la mention « mort drogué » sur la photo de la pochette. Les Stones me soufflent une idée de la vie sombre et sale, sûr que plus tard, bientôt, comme eux, j’apprendrais à « jouer avec le feu« . La ritournelle au clavecin m’intrigue. Je trouve ça déjà désuet, comme un relent aigre de souvenir. Les Stones, avec ce 45T, vont aussi me jeter sur la piste de la mélancolie, le truc dont j’abuserais éhontément à l’heure d’éponger les hormones.

Mais le truc frappadingue, c’est les Trashmen. Comme des Beach Boys (qu’à l’époque je laisse complètement de côté) qui auraient rêvé des plages sans jamais sortir du garage, les mains noires de cambouis. Surfin’ Bird, c’est déjà le pogo dans ma chambre de gosse, les poings qui martèlent l’armoire, le lit converti en trampoline, ma mère que je mine, le frérot que je tarabuste. Les boules puantes dans le bureau de poste, les pompiers qu’on alerte parce qu’on a senti du gaz. Ma manie de démonter tous les jouets qu’on m’offre, un tournevis assassin à la main (et je n’ai jamais réussi à planter un clou depuis). Ces Trashmen sont tellement moches qu’à défaut de leur foutre des claques, je m’amuse à les défigurer sur la photo de la pochette. Je leur colle un prénom au pif (et j’ai tout faux, Steve, que j’écris Stew, ce n’était pas le chanteur mais le batteur). Leur chanson « Henrietta« , la 2e de la face A, me fait rigoler rien qu’au titre, en plus d’être zozottée comme une chèvre : comment peut-on oser rendre hommage à une fille qui porte un prénom pareil? Presque quarante ans après les avoir découverts, Internet m’apprend que quoi? Les Trashmen existent toujours! Qu’ils écument les clubs à bière au fin fond de l’Oklahoma. Il y a même des vidéos d’eux sur YouTube et franchement, c’est une expérience que je regrette d’avoir tentée…

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