traversée du Mékong entre My Tho et Can Tho, Vietnam, août 2012
J’avais rêvé de traverser le delta du Mékong sous un ciel ténébreux d’orage, accoudé au bastingage d’un bateau rouillé ruisselant de gouttes huileuses. Depuis l’Europe et ma chambre d’ado, le roman L’Amant, de Marguerite Duras, puis le film de Jean-Jacques Annaud qui en fut tiré m’avaient propulsé dans un décor qui suintait les tropiques humides, avec ces quais grouillants de chapeaux coniques dans un crépuscule bleuâtre qui durerait des jours entiers. J’ai retrouvé un peu de cette mélancolie dans le regard hébété des passagers, habitants livrés à la puissance d’un fleuve aux innombrables ramifications boueuses. Il n’est hélas pas tombé une seule goutte de pluie. Le climat change, ici aussi, et le Mékong connaît des caprices qui ne sont pas de son dû. Les sécheresses plus nombreuses et les barrages en amont dans les pays qu’il traverse font varier ses humeurs à son débit défendant. Et le sel de la Mer de Chine qu’il épouse remonte en lui comme un poison et perturbe les cultures, autant que l’imaginaire du touriste éconduit.