Illes Medes, Catalunya, mars 2013
Il avait tout planifié. Son ennemi, c’était le hasard, qu’il combattait par la préparation, la prévoyance, l’ordre et le balisage méticuleux. En situation de contrôle, comme il se plaisait à le répéter, rien ne pourrait lui arriver, ni de grave ni d’incroyable. Là filait son existence, chaque matin la même, entre le probable quantifié et le refus du superflu. Ses jours s’entassaient comme une pile de linge repassé à l’eau de lavande. Même la bouffée d’amitié à la terrasse du café devenait une ritournelle planifiée, qu’il s’efforçait d’encadrer de sourires ajustés dans sa glace avant de sortir.
Heureusement, le temps garde plus d’un tour dans son sac. Il sait rebattre dans sa chambre secrète les cartes que le joueur de poker fait l’illusoire métier de dompter : le hasard revient de vague en vague et le brise-lames patiemment construit n’a réussi qu’à retarder la plus haute. Un matin le tourbillon dépassa de si haut ses calculs qu’il ne sut l’accepter. Il plongea dans l’écume d’oubli. Son chapeau de feutre remonte à la surface certains soirs, à chaque fois pour annoncer de nouvelles tempêtes. Ce chapeau sous lequel il s’était évertué à dessiner une rationalité parfaite au monde est devenu, comble d’ironie, le symbole de son chant libre et vertigineux.
Il semblerait ainsi que plus nous engageons nos vies sur les chemins préparés, plus la vie se prépare à d’autres chemins. Nous apprenons à tout prévoir, et pourtant le hasard continue d’opérer, à sa guise.
Ce qui m’amène à penser souvent, ces soirs d’inopinée tempête, que nous n’inventons pas nos vies. Nous tâchons seulement de les mettre en scène dans un décor qui se fabrique surtout à notre insu.
Et parfois la lumière du théâtre est bleue, parfois la lumière est grise.