Je t’ai vu tremper tes lèvres dans ce chocolat chaud avec prudence, tu avais peur de te brûler. A la pile de livres de voyages et de cartes posée devant toi, il m’a paru évident que tu visitais la ville, peut-être une étape avant d’autres villes comme autant d’étapes européennes, où d’autres chocolats chauds raviraient ta langue inconnue. Les chocolats de Bruxelles, tu l’auras noté, sont exquis. Ils expriment mieux encore leurs précieuses saveurs accompagnés d’une de ces gaufres qui parfument les rues de la ville et jusque dans les entrailles du métro. Cette douceur sucrée jure avec la froide violence que tu as dû frôler aussi, au moins à travers les journaux. Toi non plus, tu ne comprends pas ces bouleversants chocs thermiques qui rythment le cours de l’Humanité. Au bout d’un moment, je sais, cette valse étourdit. On finit presque par se résigner à autant de rudesse, mais alors le chocolat perd de son âme. La mousse qui le coiffe se désagrège plus vite dans la cuillère. Sur la langue, le petit goût aigre de la mélancolie l’emporte sur les ors torréfiés du cacao. Je ne sais pas comment s’est achevé ton périple, ni quel avion t’a ramenée chez toi. Une chose est sûre : la distance est un peu plus grande entre nous. Ce n’est pas une question de géographie. Chaque massacre élargit la solitude des buveurs de chocolat, drapés en toute saison dans des manteaux de défiance trop grands pour eux.