Autrefois, à la frontière, on roulait au pas, freiné par un vague sentiment de culpabilité devant l’imprévisible douanier, guettant sa main nonchalante qui dirait passez, passez. On mettait du temps à reprendre sa vitesse normale, lesté encore de l’émotion d’avoir franchi la ligne symbolique. On craignait que peut-être, trois kilomètres plus loin, un douanier nous rattrape après sa sieste, avec l’envie de mettre le coffre de la voiture sens dessus dessous au vu et au su d’autres automobilistes plus chanceux et rigolards. Maintenant, au col du Perthus, les douaniers sont partis. On a même détruit leurs guérites. L’immuable pyramide de Ricardo Bofill nous regarde foncer à 70 kilomètres par heure, les vitres baissées et l’autoradio à fond. Et rien ne ressemble plus au bitume catalan que le bitume français. Cette liberté apparente dessinée par la lisse uniformité des goudrons est un piège. Juste après avoir quitté l’Espagne la route descend en forte pente vers la plaine de Perpignan. On s’élance joyeusement vers elle en doublant la longue procession de camions qui s’attarde sur la file de droite et cache une signalisation parfois utile. Le ciel est menaçant mais qu’importe ! On se laisse entraîner en chantonnant tandis qu’un bref éclair dans le rétroviseur signale une petite note pas tout à fait dans le rythme. Les douaniers nous faisaient perdre un peu de temps. Celui qu’on gagne par leur absence peut finalement nous coûter assez cher.