En 1991, j’ai vécu quelques mois à Clermont-Ferrand pour terminer mes études. Le 2 mars de cette année-là, je m’en souviens forcément, c’était un samedi. Il était pas loin de minuit, j’étais étendu sur mon lit dans la pénombre, le casque sur les oreilles avec RTL, qui diffusait les nouveautés rock. J’enregistrais en même temps sur des cassettes bleues TDK de 60 minutes à peu près tout ce qui passait chez Lionel Richebourg et Jean-François Johann, que je trouvais moins élitistes et snobs que Bernard Lenoir. A cette époque, où l’on parlait vraiment de rock indépendant, j’aimais surtout les La’s, les tout frais Blur, Ride, Field Mice et un peu moins My Bloody Valentine. A 23h38 RTL diffusait, je crois, un morceau de Teenage Fanclub. Au beau milieu de la chanson, jingle strident et une voix blanche qui annonce en bafouillant légèrement quelque chose comme « Nous apprenons la mort de Serge Gainsbourg ce soir à Paris. Le chanteur s’est éteint à son domicile rue de Verneuil ». La chanson a repris, j’ai laissé filer la bande jusqu’à la fin et j’ai passé le reste de la soirée à traquer l’événement d’une station à l’autre. C’était la deuxième fois en quatre ou cinq semaines que la radio me cueillait à froid. L’annonce des premiers tirs de la guerre du Golfe m’avait fait le même effet, stupeur et désolation. Depuis deux étés et la parution de l’intégrale de Gainsbourg à Gainsbarre, nous l’écoutions en boucle en vacances, en Espagne. Précisément en jouant au tarot ces débuts d’après-midis derrière les volets, en ruminant nos tequila-gin-get-vodka, notre kérosène, de la nuit. Le départ de Gainsbourg a coïncidé avec la vraie fin d’une insouciance, même si ce mot ne m’a jamais vraiment caractérisé. Mon grand-père disparaissait quelques mois après, la bande de copains de vacances se disloquait par trop d’alcool, trop de je t’aime moi non plus, et puis j’allais moisir sous les drapeaux à la rentrée. Aux armes et caetera.
(et votre deux mars quatre-vingt-onze, vous vous en souvenez?)