à part soi

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agreste

agreste

quelque part au-dessus de l’Isère, un soir, août 2006

Entre deux collines embarbées de fougères, la brume peu à peu s’entrouvre sur les mystérieux rivages de la mélancolie. C’est un lieu d’écriture immobile et de chants d’oiseaux, où chaque chose prend sa juste distance avec le soleil et révèle son suc parfait. Et c’est de ce point-là qu’on voit le mieux toutes ces routes sillonnées, ces terres foulées par mottes, ces décennies enjambées dans les fleurs d’un temps non compté. Le spectacle est grisant, il s’épèle sans fin : corne d’un boqueteau de chênes, grande nappe de luzerne cousue main, ventre repu des prairies de miel, caravanes assoupies de hameaux, porches ténébreux, inconjurables rousseurs des maïs effrangés. Au moins dira-t-on qu’ ici l’horizon s’est arrêté de fuir. Le souffle d’orage ne se lèvera pas, étouffé dans les poivres de la menthe sauvage et les convulsions de clématites. Entre ces collines se glisse aussi le soir, qui chuchote sa fatigue au fronton des pigeonniers. Mélopée montante d’or et de remords. Soir qui se répand comme l’eau grasse d’un port en souvenir. Avec à sa surface un cœur d’encre irisé, seiche échouée, qui ne sait pas dire sa souffrance de ne plus aimer.

« Et puis le soir tombe, et au creux du bosquet brusquement noir, il écoute longuement sonner les horloges que le crépuscule multiplie. » (Julien Gracq, Un Beau Ténébreux)