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True Grit : bien en soi

True Grit : bien en soi

J’ai enfin vu True Grit. Vu d’une pupille et demie car éborgné par un orgelet enkysté, d’où curieuse assimilation à Jeff Bridges dans le film, attifé d’un cache-œil. Première impression : True Grit est un western de situation, où chaque personnage ne se définit guère qu’à travers une destination, une direction géographique (les noms topographiques abondent et désorientent à dessein le spectateur) ou morale, et n’existe finalement que par rapport à un lieu, à une idée donnée. Le décor plante l’idée : l’immensité de l’Ouest américain et ses chausse-trapes confèrent au mouvement des héros une gesticulation tout à fait hasardeuse, donnant un appui nouveau à la doxa des frères Coen selon laquelle, on connaît la chanson pascalienne, la condition humaine confine au dérisoire. Certains y verraient de la misanthropie si la caméra n’installait en même temps de la tendresse dans sa valse de gracieux champs contre-champs tissés de dialogues au poil. La jeune orpheline qui venge la mort de son père se donne ainsi un but, une raison de survivre dans une toute jeune nation aux fondations plus incertaines (où est le bien, où est le mal?) que les siennes. True Grit dessine son chemin initiatique : le premier baise-main de Mattie est celui d’un homme grossier et aviné qui la sauve en suçant la morsure d’un serpent quasi biblique. Baiser de mort, baiser de vie, gravé en croix de sang à la lame d’un couteau, qui ne l’épargnera pas d’une amputation. Le bras du cœur en moins, Mattie réapparaît trente ans plus tard sous les traits d’une femme revêche, qui ratera finalement ses retrouvailles avec son sauveur (et donc une deuxième fois son père) : le vie nous transporte toujours un peu à côté des directions, de la morale qu’on se fixe.

Jeff Bridges campe une « gueule » roublarde et sa voix douloureusement rocailleuse ressemble par moments à une longue mélopée de blues : qui est blanc, qui est noir ? Farouchement anti-manichéen comme toujours chez les Coen, True Grit offre à Matt Damon un contre-emploi réjouissant : Texas ranger crypto-gay droit dans ses bottes, incarnant par ses allers-retours dans l’histoire toute cette Amérique malhabile dans sa conquête, entre violence sourde et violence aveugle, que des lois naissantes tentent pourtant de juguler, à défaut de combattre (splendide scène inaugurale au tribunal). Violence qui précipite la jeune Mattie dans un gouffre, propulsée par le recul de l’arme utilisée pour venger son père : l’allégorie est aisée, c’est Alice au Pays des Horreurs, l’héroïne qui change de monde, affrontant les démons qui nouaient son ventre. La surexposition jaunâtre qui baigne les deux tiers du film bascule alors dans un clair-obscur qui culminera vers la nuit sidérale. Etoiles qui piquent la longue chevauchée nocturne (un peu trop Spielbergienne à mon goût et au piano soudain bien lyrique, à moins qu’elle n’illustre un ultime soubresaut d’enfance en péril – à revoir des deux yeux), qui se transformeront en flocons de neige au lever du jour : ce qui scintillait et guidait les mouvements échoit finalement et recouvre les traces. True Grit est un film où tout change, où rien ne change. Une variation western des destins en fuite, rendus à l’unique beauté du monde : sa nature, cruelle comme les hommes.  (ma note : 7,5/10)