à part soi

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jardin d’hier

jardin d’hier

Montfrague, Estrémadure, avril 2010

La nicotine des souvenirs qui colle aux doigts. Je la revois dans la lumière crayeuse d’une fin d’après-midi de janvier, son pas pressé, ses jambes fines dans des collants gris qui dépassent d’un trench fuselé noir, ou peut-être bleu pétrole, que je ne lui connaissais pas. Elle salue le cafetier derrière la vitre, un geste de la main sans s’arrêter, et disparaît au coin de la rue. C’est presque avril maintenant et les montagnes sont tachées de vieille neige. Les arbres accrochent leurs premières feuilles, d’un vert si tendre qu’on ose à peine s’en approcher. Il monte des jardins une odeur tiède et puissante de chair et d’eau, un parfum qui presse l’envie de remuer la terre comme un ventre. Je la revois encore dans le silence glacé d’un soir d’hiver, son pas décidé quand les lumières de la ville hésitent encore à frôler les murs. La rue est interminable. Je repasse en boucle l’instant où elle va dire bonjour au cafetier, cette gracilité volontaire de libellule, ces quelques secondes où sa bouche trahit le sourire vainqueur qu’elle m’adressait autrefois. Le gai printemps des oiseaux résonne jusqu’au ravin de ce souvenir, le dernier que j’ai d’elle, impossible à combler. La mélodie du merle au sommet de l’if ombrageux, avril avec un petit supplément de brume. Le doux fleurissement d’un début de finitude.