Kandy, Sri Lanka, août 2011
On aimerait croire qu’un nouvel homme, drapé des meilleures intentions, puisse rouvrir les perspectives d’avenir de tout un peuple, le nôtre, et réenchanter les lendemains. Est-ce alors l’avance confortable du candidat du changement dans les sondages qui expliquerait l’atonie de l’indignation en France, là où nos voisins battent la semelle et font chauffer le pavé ? La promesse d’un prochain basculement politique et l’attentisme qu’elle provoque jouent-t-ils un rôle d’amortisseur de la protestation ?
Parce que, tout bien pesé, il y a de quoi s’indigner par chez nous. Inutile de rappeler l’entêtement des courbes de chômage, de fermeture d’usines, de pression fiscale, de budgets resserrés, d’inégalités galopantes – sans compter la surenchère discriminatoire de la politique sociale depuis 2007. Il faut croire que les Français vouent une confiance aveugle aux urnes et aux pouvoirs du génie qui peut en sortir : la situation est (très) grave mais les échéances pour désigner un homme (ou une femme) au poste de la Providence attiédissent finalement les expressions les plus vives. L’Ecole nous l’a assez martelé : c’est notre esprit civique qui doit parler, lui seul, dans les interstices que la République nous réserve.
Je doute que l’Histoire contemporaine, traversée de désarrois sociaux et de misères écologiques sans cesse amplifiés, justifie le bien-fondé de cette sagesse citoyenne. A bien y réfléchir, tous les candidats investis par notre confiance n’auront-ils pas été finalement des canalisateurs de l’indignation? Notre attitude aura tout juste permis à quelques marchands de promesses d’échapper à leur triste condition de bretteurs. A eux cette nomenklatura qu’un pays classé seulement 31e mondial pour la liberté de la presse se gardera bien de décrire, à nous l’espoir de rejouer tous les cinq ans l’indignation dans l’isoloir. Seuls face à notre bulletin, surtout pas tous ensemble.
[La France est une démocratie dite « imparfaite », au même titre que le Sri Lanka.]