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kooman et penoa

kooman et penoa


FIFO 2012 : Papeete, Tahiti, février 2012

Le temps se boucle sur lui-même. Peut-être à cause des horizons encombrés par l’imposante darse du port et les mâchoires de Moorea en face, la lumière à Papeete se rompt vite. Ses brisures éparpillées réinventent chaque soir la topographie de la solitude.

Homologie de la nuit commençante avec l’océan qui s’étale. Perdition, apaisement, dans un même flux. Deux personnages rendus à leur part obscure font affleurer les vestiges de l’amour originel dans la poussière polynésienne. T’en souviens-tu ? Moi Kooman, toi Penoa, et les îles comme des langues. Ta mangue et mon lingam, heureux mouillages. Maintenant  une ombre venteuse verse son grain de duplicité sur ce paradis en miettes. Sur tous les planisphères, l’Océanie est coupée en deux, déjetée aux deux bords. Comment recoudre l’espace entre deux êtres du même jardin quand les sorciers de l’Occident ont tranché son cœur à vif ?

L’Océanie, voix ressassante d’une Histoire tissée d’histoires, verse un drôle d’éclat sur l’Europe et son rapport au monde. Quand ici, la culture s’effrange dans des grands livres comptables, elle résonne encore là-bas, pour qui sait l’entendre, intacte dans les arbres, les nuages et les oiseaux. Les plus sages sauraient deviner la provenance de l’eau des lagons rien qu’en la goûtant.

Mais ce territoire de paix est peut-être aussi le plus grand champ de bataille jamais foulé. D’explorations en conquêtes et en expérimentations, de Marion-Dufresne au Musée Branly, une colonisation qui n’a jamais vraiment confessé son nom de sang. Toute l’eau lustrale des cascades n’y saurait laver nos péchés mortels. D’après Jacques Derrida, il n’existe pas de frontières absolues entre une époque et une autre. « Il y a des contaminations, des blessures dont on hérite ». Si le miroir de la mer est la conscience du peuple des îles, alors les nuages qu’elle reflète à la fin du jour racontent son identité blessée.

Moi Kooman, toi Penoa, et la mémoire battue comme des vagues sur la jetée grise.