Le Mékong à Chau Doc, Vietnam, août 2012
Il y a des torpeurs dont on ne sort pas. Des troubles émois qui durent, des remuements sans rémission. Ils nous habitent et parfois nous confondent avec les bourrasques de novembre. Les sensations tombent en nous comme des feuilles mortes et nos soupirs s’épuisent à les soulever encore.
On se fait des histoires et les histoires nous défont, un peu. Pages illisibles à force. Le temps joue au cadavre exquis avec les morceaux de nos destins. Et parfois les assemblages sont si cruels que les bras nous en tombent.
Ici et là les berges se creusent, dans le tumulte des courants contraires au flux des cœurs, laissant l’eau malmener le limon. J’ai vu bien des barques se briser dans la colère des rivières, des pêcheurs se perdre dans le bouillon pisseux des nostalgies. Moi je m’accroche à mon saule marsault, moins lié que les autres saules aux milieux détrempés. Revers de la médaille : la longévité du saule marsault est brève. Je n’aurai pas grand’chose de tous les rêves jadis semés, mais j’ai aussi cueilli des joies qui ne figuraient pas dans les herbiers officiels.
Des désirs qui s’écoulent sans vent ni fausse route, eaux lentes, conscientes, pareilles, vers la mer : c’est prendre le risque d’ensabler les baies et d’émousser l’écume.
La sagesse serait de ne vivre que pour les quelques secondes qui précèdent un passé toujours imminent. Nager devant le mascaret avec l’avidité d’un saumon qui n’aurait plus peur de laisser quelques écailles à la surface du miroir.