Ca se passait généralement à la fin de l’hiver. Chaque année à la même époque, je faisais une grippe, une rhino, une rougeole. Ces jours où je restais au lit, c’était immanquable, mon père m’offrait un disque. Je guettais la charnière février-mars avec une ferveur non dissimulée pour compléter ma collection de Johnny. Sauf qu’un jour de 1973 ou 1974, ce sont ces quatre gugusses qui déboulèrent dans ma chambre. Vous imaginez la tête du gamin de six ans, qui défait fébrilement le paquet en pensant à son idole et qui découvre ça… « Il n’y avait plus de Johnny chez Chardon (l’un des deux disquaires du village, NDLR), tu vas écouter, c’est très rock, c’est très bien aussi », fit mon père, avec l’assurance d’un médecin qui essaie de vendre sa potion. « Il n’y avait plus de Johnny », comme on dit « Il n’y avait plus de pain à la boulangerie ». Allais-je pour autant combler mon appétit?
Mes oreilles s’en souviennent, mes yeux aussi. Je ne suis pas sûr d’avoir apprécié tout de suite ce wock-‘n’woll là, mais j’ai été amusé de voir mon vieux géniteur de 25 ans se déchaîner comme un fou quand il jouait et rejouait Get Down And Get With It, le genre de hard-boogie qui crame les pâquerettes. L’énergie qu’il mettait à taper du pied en imitant la guitare me remit d’aplomb plus vite que les années précédentes. Et puis il y avait aussi Coz I luv you sur cette compile, une semi-douceur aux accents irlandais, avec son solo de violon électrique et son final choral. L’excipient doucereux pour faire passer la sauce glam-rock un tantinet rustre.
Slade a été ma première incursion, tout à fait fortuite, dans le rock boum-boum jiwiiiiz. Un accident plus heureux qu’il n’y paraît : ce groupe m’avait fait toucher du petit doigt le riff roboratif et puis aussi une certaine idée de l’excentricité anglaise, fut-elle en version pécore. Il m’aura pourtant fallu six ou sept ans encore pour revenir, de mon propre chef cette fois, à des choses aussi primaires, british et dézinguées. Hey, Johnny n’était pas encore mort.