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carnet de déroute

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plagebali

Pemuteran, Bali, août 2013

Mes années se suivent et se ressemblent, rythmées depuis dix-sept ans par un voyage estival, une pause en trompe l’œil entre deux masses abruptes de travail. Des années sans réfléchir vraiment à cette vie qui file, file vite maintenant. Et qui m’aura modelé à elle sans me laisser la vraie liberté de choisir. Cette année tient le pompon : à peine quatre jours de fugue, deux week-ends sacrifiés sur trois. L’hiver austral où j’irai me blottir tantôt m’offrira peut-être la fraîcheur nécessaire, le courage pour imaginer une autre trame à l’acte second de mon bref passage ici-bas. Un endroit surélevé face à la rencontre de deux océans, dans les dernières lueurs coupantes du crépuscule, m’irait bien. Et si au passage des baleines je pense à autre chose qu’au cours de ma vie, ce sera peut-être encore mieux.


Pourtant l’expérience de ces étés voyagés fait monter une inquiétude plus qu’elle n’indique la lumière. Beautés que l’aveuglement des cupides étiole, colère qui ensanglante les rues, le ciel : les exils lointains ramènent à la fragilité banalisée du monde. Alors quoi? Pourquoi partir si le sac du retour est lesté d’amertume? Parce que, dans le langage des bateaux, l’amer est aussi un point de repère. Je m’entête dans le désastre commencé à fouiller la beauté des choses : une conversation secrète avec les nuages, un prénom caché à l’intérieur du chant des oiseaux, la géologie de mes racines nomades, le sourire de ces gens humbles qui ont tout trouvé. Je cherche peut-être aussi l’image du monde à son point d’apparition, dans son éclat d’argile. Dans la pluie qui dégouline, derrière les rideaux de suie, je cherche, à ces heures perdues, la joie. La joie pleine et entière que l’enfant répand de son seul regard d’ébène, dans une langue inconnue et libre, juste belle à entendre.

« Tu entendras un rauque battement d’ailes et quelqu’un s’en aller en sens inverse. Des oiseaux remarquables t’indiqueront la route des migrations. Les hordes du désert se retirent dans une époque meilleure. Tu abandonneras le bateau après la ligne droite. » (Luisa Castro, les Habitudes de l’Artilleur)