En prolongeant la circulation des vieilles Buick, Chevrolet et autres Cadillac dans les rues de ses villes, Cuba a conservé un lien contrarié avec les Etats-Unis. Ces symboles premiers de l’âge d’or du capitalisme industriel jettent dans les quartiers misérables des couleurs antinomiques. Admiration paradoxale pour ces belles mécaniques dans une société qui n’a cessé de répudier les valeurs occidentales depuis soixante ans.
Le réchauffement récent des relations diplomatiques avec le vieil Oncle Sam traduit-il un juste retour des choses après cette longue bouderie? Ou bien ce rapprochement cache-t-il une reddition, quand le pays semble dépassé par de graves déséquilibres économiques? Difficile de comprendre ce qu’il se passe quand on interroge les Cubains. Se sachant épiés dans leurs moindres dires, ils balaient souvent la question d’un revers de main. Les plus âgés répondent à côté : « Barack Obama est un grand homme, mais Fidel le surpasse. » Chez les jeunes, certaines langues commencent à se délier, non sans un certain cynisme. « Regardez dans quoi nous vivons (on m’a montré des immeubles délabrés, totalement squattés par des familles entières). Cela ne changera rien au système. Les pauvres resteront pauvres, ils fourniront une main-d’oeuvre bon marché aux entreprises américaines qui s’installeront ici. »
Il est probable que l’Etat souhaite accélérer le décollage du tourisme pour sauver le financement de sa révolution sociale, quand tous les autres pans de l’économie se sont pratiquement écroulés. L’ouverture en cours de plusieurs liaisons charter entre les US et Cuba témoigne de cette stratégie. Mais voir bientôt rouler des pick-up Chrysler et des Ford Focus sur le front de mer de La Havane n’aura pas tout à fait le même charme.